Comment lit-on l’-y- en français ?
Attention ! en règle générale, en français, la lettre ‑y‑ ne représente pas le même son que le groupe ‑ill‑, c’est-à-dire, dans l’alphabet phonétique international, la semi-voyelle [j], qu’on appelle aussi « yod ». La lettre ‑y‑ ne sert à noter ce yod qu’au début des mots, comme dans « yaourt ».
En revanche, elle sert, en règle générale, à noter le redoublement du ‑i‑, c’est-à-dire à remplacer deux ‑i‑. Ainsi, dans « crayon », tout se passe comme si l’on avait « crai-ions » ; c’est pour cela que dans « crayon », la lettre ‑a‑ ne se prononce pas [a], et qu’on entend le son du ‑è‑ (en alphabet phonétique international [ɛ]). On pourrait s’inquiéter du fait que le second ‑i‑ de « crai-ions », symbolisé dans crayon, ne représente pas la voyelle [i], mais la semi-voyelle [j], le yod. En réalité, cela ne pose pas vraiment problème au plan pédagogique, pas plus que le yod qu’on entend dans « nous aimions ».
C’est un problème très important, auquel il vaut mieux veiller très tôt, dès le CP, afin d’éviter de créer des difficultés aux élèves, qui participent à leur rendre l’acte de lecture opaque, à créer des dyslexies acquises — ce que Colette Ouzilou appelait des troubles d’apprentissage de la lecture-écriture. Professeur de lycée, chaque année, quand je fais apprendre et réciter des poèmes comme « La ballade des pendus » de Villon, ou « Après trois ans » de Verlaine, je constate que plusieurs élèves dans la classe n’ont pas appris cela, de sorte qu’ils disent « N’aillez les cœurs contre nous endurcis », ou « Aillant poussé la porte étroite qui chancelle ».
Il faut cependant noter une des sources de la difficulté ; c’est que le français emprunte parfois des mots à des langues étrangères, en adoptant une logique de transcription différente de la logique orthographique française : une logique naturelle pour les langues où ce n’est pas le graphème -il(l)- qui note le phonème [j]. Ainsi, l’on note le nom emprunté à l’arabe abaya, qui fit les choux gras des médias à la rentrée 2023, alors qu’on le prononce « abailla » ; ainsi ne lit-on pas le nom du tennisman espagnol Carlos Moya « Moi-ia », mais « Mo-ya » ; de même pour les emprunts à l’anglais boy ou au yiddish goy, même si en l’espèce il ne s’agit pas d’un ‑y‑ entre deux voyelles.
Il faut d’autre part rassurer ceux qui craindraient que ces exceptions eussent rendu l’orthographe française anomique sur ce point : c’est bien pour la plupart des mots rencontrés avec un yod entre deux voyelles qu’on écrit ‑ill‑ ; c’est bien pour la plupart des mots où l’on trouve un ‑y‑ entre deux voyelles qu’on doit lire deux ‑i‑.
Ainsi de ayez, ayons, ayant… et même de oyez, qu’on doit lire « oi-iez » ([waje]). De même pour layon, rayer, rayon, loyer, loyal, moyen, moyeu, noyer, frayer, effrayer, fuyez, fuyons, essayer, soyeux, essuyer, zézayer, choyer, abbaye, aboyer, appuyer, payer, ployer, employer, étayer, pagayer, égayer, croyez, ennuyer…
Notez enfin que bien comprendre la différence fondamentale entre l’‑y‑ entre deux voyelles et le ‑ill‑ permet de comprendre pourquoi « paille » ne se prononce pas comme « paye », ou « pagaille » ne se prononce pas comme « pagaye ».