Il est de bon ton, aujourd’hui, de qualifier de « nostalgiques » ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’instruction publique en France en collectionnant manuels et cahiers du siècle dernier. Nous avons pourtant grand besoin de raviver cette mémoire pour revivifier les racines d’une école qui dépérit (ci-dessus la « méthode Cuissart » : et si l’enseignement simultané de la lecture, l’écriture, l’orthographe et du dessin n’était pas un fantasme du passé ?).
Nous avons rencontré l’un de ces collectionneurs, Monsieur Chevalier, ancien universitaire :
– Monsieur Chevalier, pouvez-vous nous dire de quoi est constituée votre collection ?
La collection porte avant tout sur les cahiers. Il y a environ 2 000 cahiers (je n’ai pas le compte exact). Ils sont répartis sur une période qui va de 1800 à 1950 avec seulement quelques cahiers du XVIIIe siècle. Certains ont sans doute une très grande valeur. Ils sont classés aujourd’hui par décennies. Ils constituent un véritable instrument de recherche sur l’évolution de l’enseignement, sur la relation entre la société et l’école, sur l’impact de la politique sur l’école…
Dans cette collection, on trouve de nombreux livres qui touchent l’ensemble des matières à la fois pour l’élève (c’est la majorité) mais aussi pour le maître. On trouve du matériel scolaire de l’élève, du maître, les récompenses, les protège-cahiers, les buvards… Tout ce qui concerne l’école.
– Pensez-vous qu’il y a eu un « âge d’or » de l’école ? Et des périodes sombres ?
Je ne sais pas si on peut parler d’ « âge d’or ». Mais on peut dire que des générations ont appris à lire, écrire, compter à un niveau qui n’existe plus aujourd’hui. Tous nos parents et grands-parents maîtrisaient ces trois concepts. La période la plus noire, c’est aujourd’hui. J’ai pu constater un « décrochage » des connaissances élémentaires à partir des années 2000. Nous avons vu arriver à l’université des jeunes qui ne comprenaient pas ce qu’ils lisaient (même des textes très simples), avec une orthographe désastreuse, une mauvaise connaissance de la phrase et un niveau calcul minimum. L’incapacité au calcul mental est affligeante et faire une division ou une règle de trois est un exploit !!! L’âge d’or a disparu depuis longtemps.
– Selon vous, quel a été l’impact des deux guerres sur l’histoire récente de l’école ?
Indéniablement, la Première Guerre mondiale a été préparée dès l’école. Les enfants ont clairement été conditionnés. La lecture des cahiers entre 1880 et 1914 ainsi que les livres est édifiante.
Ayant vécu l’école primaire de l’après-guerre, j’en garde (ainsi que tous nos amis) un super souvenir. Mon instituteur était un modèle d’enseignant : efficace, disponible, aimant les enfants tout en maintenant une bonne discipline. C’était « un instituteur » dans la plus noble définition du mot. Ils sont peu nombreux ceux d’aujourd’hui qui ont gardé cet esprit.
– Pour vous, qu’est-ce qui différencie le plus les cahiers d’école de nos ancêtres de ceux des écoliers d’aujourd’hui ? En quoi cette collection peut-elle apporter des informations riches et pertinentes pour les élèves d’aujourd’hui ?
Les cahiers d’école de nos ancêtres montrent une belle évolution dans l’acquisition des notions fondamentales. Il y a clairement un souci d’aller des choses simples vers des notions de plus en plus complexes. Ceci correspond tout à fait à ce que nous ont enseigné les écrivains et philosophes des lumières. Il y a tout d’abord l’approche de la lettre puis du mot et enfin de la phrase.
Le cahier d’école de cette époque montre clairement que le souci est l’acquisition des trois notions fondamentales. La dictée est omniprésente, la compréhension grammaticale y est importante. Les mathématiques y sont traitées dans le même esprit, la multiplication des exercices et l’approche avec le réel. Les quatre opérations étaient acquises (même dans leur complexité) en fin de primaire.
J’ai pu constater les dégâts de la méthode globale.
– Cette collection peut-elle être un outil pour les élèves d’aujourd’hui ?
Je n’en suis pas sûr. Le passé est ce qu’il est ; il faut le replacer dans un contexte plus global de la société de nos ancêtres. Aujourd’hui notre société est différente. Les outils sont tellement différents… Ils sont mal utilisés, c’est sûr. Les écrans, l’informatique… ne sont pas souhaitables ni en maternelle ni pour l’apprentissage des notions fondamentales. Ils ne devraient apparaître qu’à partir du CM1 et encore de façon très limitée. La lecture d’un livre intitulé « La fabrique du crétin digital » de Michel Desmurget est édifiante à ce sujet : perte de la diversité des mots, l’incapacité à créer un texte cohérent, perte de l’attention, le « zapping »…
Pour conclure cette entrevue, nous vous invitons à explorer le fantastique travail d’archivage réalisé par quelques uns de nos collègues sur le blog : « Manuels anciens »
Bonne recherche !