En ce premier mai, il me semble bon d’attirer l’attention sur la revendication formulée l’année dernière (et toujours d’actualité) par le collectif Agere aude d’enseignants de philosophie, à pouvoir corriger leurs copies papier originales de baccalauréat sans être contraints d’utiliser le logiciel « Santorin » de correction des copies numérisées.
Ce qui a été formulé par ces collègues, n’est ni plus ni moins que le souhait de pouvoir exercer leur métier dans des conditions respectueuses de leur qualité d’êtres humains conscients, professionnels, et incarnés. La correction de 150 copies de philosophie nécessite un temps long, des possibilités physiques d’installations adaptables et tolérables mais aussi la possibilité physique d’exercer leurs geste professionnels comme la comparaison et le mise en regard rapide de copies. Ces derniers ne se sont pas déclarés satisfaits par la solution ubuesque et anti-écologique qui consiste à imprimer les copies scannées au préalable et stockées sur des serveurs à l’aide de toutes une logistique informatique coûteuse à tous points de vue.
Ce qui a été formulé par ces collègues, c’est le souhait de ne pas être réduits à des rouages insensibles d’un système machinal. Ce système est ce que Günter Anders appelle le « rêve » des machines (1) et qui est le déploiement toujours plus exhaustif et totalisant d’une entreprise de réduction de la vie à des procédures, d’une entreprise de productivité qui n’est plus tournée vers la qualité de vie des humains et notamment celle des personnes qui effectuent un travail. Ils ne veulent pas être dépossédés de leurs gestes, de leurs outils, de leur liberté dans l’exercice de leur métier.
On notera cette tendance à baptiser des corsets informatiques avec des noms tous plus évocateurs de liberté les uns que les autres. Il faut sans doute que les professeurs puissent rêver de mer et de ciel bleu une fois les yeux rivés à un écran.
Entendons leur message, diffusons-le et espérons qu’ils sont aux avant-postes d’une prise de conscience de l’urgence qu’il y a à imaginer autre chose que ce « rêve des machines » qui se bâtit tous les jours davantage depuis trop longtemps.
Julien Giacomoni
(1) Le rêve des machines, Günter Anders, Allia.