L’article du Point du 25 novembre 2020 « Les sciences en voie de disparition à l’école primaire », rend compte de certains éléments d’un rapport de l’académie des Sciences du 20 novembre sur la pratique et la formation en sciences et technologie des enseignants du primaire (Lire le rapport).
Le GRIP ne peut que souscrire à l’état des lieux déplorable de l’enseignement des sciences qui y est décrit, et au constat de l’incapacité du système éducatif à recruter et à former des instituteurs compétents et efficaces en sciences. Cependant, la façon dont ce rapport est présenté dans le journal Le Point laisse penser que la place des enseignements fondamentaux serait trop importante, et nuirait ainsi à la mise en œuvre du raisonnement scientifique à l’école ; qu’il faudrait donc la réduire pour créer un espace-temps dans lequel les élèves pourraient s’adonner au raisonnement scientifique car « Le plus fondamental est d’acquérir une démarche scientifique et d’encourager les méthodes actives … » .
Examinons les questions soulevées par cet article du Point.
1. Les fondamentaux sont-ils vraiment trop enseignés à l‘école primaire ?
Les différentes évaluations nationales et internationales des élèves français montrent, à tout niveau de la scolarité, la baisse continuelle depuis plus de 30 ans des connaissances et habiletés en langue et en mathématiques, et une baisse relative des performances de nos élèves comparés aux autres Européens.
Cette indignité républicaine est de plus accrue par l’écart qui augmente, au détriment bien sûr des élèves les moins favorisés socialement, entre ceux-ci et les autres, nonobstant la baisse de performance de ces derniers ! On en comprend mieux les raisons en regardant quelques points simples des attendus de fin de cycle 3 (CM1, CM2, 6éme) tels que recensés dans les textes de juillet 2020.
En français, le mot « conjugaison » n’apparait pas ; on a toutefois des objectifs et attendus en la matière.
Mémoriser :
– le présent, l’imparfait, le futur, le passé simple, le passé composé, le plus-que-parfait de l’indicatif,
– le conditionnel présent et l’impératif présent pour : être et avoir; les verbes du 1er et du 2ème groupe ; les verbes irréguliers du 3ème groupe : faire, aller, dire, venir, pouvoir, voir, vouloir, prendre.
Distinguer temps simples et temps composés.
Comprendre la notion de participe passé.
Tous les temps de l’indicatif ne sont pas étudiés ; au conditionnel, seul le présent l’est et le subjonctif n’existe pas !
En mathématiques, malgré un certain nombre de préconisations positives faites par la commission Torossian-Villani, l’ensemble du programme comporte encore des lacunes substantielles. Par exemple, la division d’un décimal par un décimal n’est toujours pas un objectif.
Calcul posé :
– Connaître et mettre en œuvre un algorithme de calcul posé pour effectuer : l’addition, la soustraction et la multiplication de nombres entiers ou décimaux ; la division euclidienne d’un entier par un entier ;la division d’un nombre décimal (entier ou non) par un nombre entier.
On ne peut donc même pas conclure que les « fondamentaux » soient aujourd’hui trop enseignés, même dans l’hypothèse optimiste où le rapport Torossian-Villani aurait été intégralement suivi d’effet. Or, ces fondamentaux sont indispensables à la construction des savoirs : il ne peut donc être question de les réduire !
2. De quoi se nourrit un raisonnement – scientifique ou autre ?
Sans une certaine aisance en lecture et en calcul, on ne peut que difficilement entrer dans la culture et le raisonnement scientifique. Dans ces conditions, il est inapproprié d’opposer les sciences et le raisonnement scientifique aux bases de l’acquisition des connaissances que sont la langue et les mathématiques élémentaires.
Il ne s’agit pas davantage d’opposer l’apprentissage structuré d’une discipline à une approche par des «méthodes actives». Le raisonnement ou simplement l’intuition raisonnable sur une question posée, qu’elle soit abstraite ou concrète, se construisent souvent à partir de connaissances acquises sur des sujets proches ou apparentés. L’activisme pédagogique visant à organiser des discussions autour d’observations expérimentales, s’il a l’apparence de la convivialité et permet aux élèves de formuler leurs idées, peut aussi déboucher sur la cacophonie s’il n’y a pas régulation par des connaissances scientifiques constituées.
«… en prétendant transposer la démarche scientifique en classe, on a établi des procédures aussi chronophages qu’improductives. Observer, analyser les données initiales, émettre des hypothèses, concevoir et pratiquer des expériences, noter et interpréter les résultats pour en déduire des conclusions sont autant d’activités qui demandent un minimum de connaissances scientifiques pour ne pas se réduire à une parodie. » écrivions-nous déjà en 2013 dans une note à l’Assemblée nationale sur l’enseignement des sciences (Lire la note).
Alors, certes, il faut enseigner les sciences à partir de l’observation chaque fois que cela est possible et pertinent, et en profiter alors pour dégager des connaissances structurées. Lorsque celles-ci commencent à s’étoffer et s’organiser, on peut envisager de procéder à des expériences au cours desquelles la démarche et le raisonnement scientifique pourront éclore.
3. Comment faire avancer acquisition des fondamentaux, construction des savoirs et du raisonnement ?
Donnons dans chaque classe, à chaque élève un manuel d’histoire, un de géographie, un de science. Offrons à chaque élève, chaque semaine, une leçon issue de chacun de ces ouvrages qui donnera lieu en classe à une activité appropriée (lecture, représentation, petit compte-rendu de la séance à rédiger, manipulation, expérimentation , calcul…) et à la maison à un résumé de la connaissance à acquérir à apprendre. Nous y sommes. La lecture, rendue utile et fréquente dans des domaines variés devient fluide, la langue s’enrichit, et le calcul s’impose.
Si certains esprits grincheux n’y voient qu’une nostalgie de ce qui existait auparavant, qu’ils se demandent ce que ces livres offraient aux enfants qui n’en possédaient pas d’autres. N’était-ce pas là un excellent moyen de réduire les écarts entre ceux qui avaient tout chez eux et ceux qui n’avaient rien ? Il n’est pas de liberté sans connaissance, il n’est pas d’égalité décrétée, il n’y a qu’une égalité construite. L’école républicaine, ce n’est pas celle du socle, ni celle du spontanéisme, c’est celle de la construction des outils de la liberté et de l’égalité. Et ce sont aussi ceux de la fraternité et de la citoyenneté : savoir, analyser, comprendre, argumenter et agir. Savoir pour analyser, analyser pour comprendre, comprendre pour argumenter et agir.
À cet égard, nous ne pouvons que saluer la lucidité dont ont fait preuve d’autres académiciens … en 2004.
(Lire le rapport : Les savoirs fondamentaux au service de l’avenir scientifique et technique)