Michel Delord nous propose une analyse des mesures du rapport Torossian/Villani, Le rapport Torrosian-Villani lave-t-il plus blanc ? , nous en publierons des morceaux choisis au cours des mois qui viennent.
Premier extrait :
La question des programmes :
Le courant de pensée à l’origine du GRIP et de SLECC apparait de manière formelle en novembre 2002 par le biais d’une pétition destinée à combattre les nouveaux programmes pour le primaire proposés par Jack Lang à la suite des travaux d’une commission dirigée par les deux références qu’étaient Philippe Joutard et Claude Thélot. Ces propositions de programmes ont été soutenues par tous les organismes officiels et semi-officiels qui traitaient – et traitent encore – de l’enseignement des mathématiques.
Dès sa naissance le courant GRIP/SLECC s’intéresse donc prioritairement aux programmes et, ce qui est logique si l’on ne sépare pas la question des programmes de celles des progressions, tout d’abord aux programmes du primaire. Il s’intéresse en particulier à ceux du tout début du primaire et pour les « matières socle commun des autres matières » c’est-à-dire initialement dans les progressions, le calcul et l’écriture.
Donc le GRIP s’intéresse ‘depuis toujours’ aux contenus enseignés mais c’est seulement à partir du texte SLECC de 2004 qu’il affirme explicitement que sa condamnation des programmes de 2002 n’est pas seulement une question d’opportunité mais tient à la place que la question des programmes occupe dans sa perspective Texte SLECC-2004.
Cette position fait partie du bagage pédagogique classique que l’on retrouve dans de nombreux manuels d’École normale depuis le milieu du XIXe siècle ; donnons-en un exemple, le fameux « Cours de pédagogie théorique et pratique » de Gabriel Compayré qui fut un des manuels les plus utilisés de la fin du XIXe jusqu’aux années 1920. Voyons ce que Gabriel Compayré dit du rôle de la connaissance disciplinaire dans la qualité de l’enseignement :
Toutes les considérations [sur les méthodes et la pédagogie, MD] qui précèdent n’ont d’autre utilité pratique que d’obliger le maître à réfléchir sur les principes mêmes de l’enseignement, sur la nécessité de tenir compte à la fois, et de la nature des enfants auxquels il s’adresse, et de la nature des connaissances qu’il communique. Qu’on n’aille pas s’imaginer qu’il suffit, pour bien enseigner, de connaître les distinctions abstraites de la pédagogie. La première condition pour être un bon professeur, ce sera toujours de posséder fond la science qu’on est chargé de professer. Un pédagogue anglais, M. Laurie, le fait observer avec raison : « Un maître dont l’intelligence est cultivée, et dont la volonté est fortifiée par l’expérience, par la raison, par la religion, peut être en état de produire chez les autres les qualités qu’il possède lui-même, et d’adapter inconsciemment les procédés qu’il emploie à une méthode exacte.» Cours de pédagogie-Compayré
Et cette idée – l’importance centrale de la qualité du contenu disciplinaire dans la qualité instructive de l’école – est également une idée « moderne » puisque redécouverte par le TIMSS 1995/1996. []
Quelles sont les trois principales conclusions auxquelles arrivent les auteurs de « A Coherent Curriculum: The Case of Mathematics » (résumé de l’étude dirigée par William H. Schmidt) ?
1) La première conclusion :
les résultats de la course hippique, c’est-à-dire les classements internationaux – quel pays est premier, deuxième, troisième – n’ont pas d’importance en eux-mêmes et sont plutôt là pour attirer l’attention du public .
Le moins que l’on puisse en dire est que le conseil n’a pas été suivi d’effets puisque les discussions sur le classement ont pris dans tous les pays une place immensément plus grande que celle portant sur la nécessité d’avoir de bons programmes ou d’en définir de tels.
2) La deuxième conclusion – que les auteurs présentent eux-mêmes comme « une des plus importantes découvertes faites à partir de l’étude du TIMSS 1995 » – : le facteur qui joue le rôle central dans la qualité d’un système scolaire est le contenu des programmes :
Ce qui importe est le programme : on ne récolte que ce que l’on a semé. Une des plus importantes découvertes faites à partir de l’étude du TIMSS est que la différence des résultats suivant les pays dépend de ce qui est enseigné dans chaque pays. En d’autres termes, les variables démographiques ou autres ne sont pas à l’origine et ne changent pas de beaucoup le niveau d’instruction obtenu. On constate que c’est l’enseignement lui-même qui fait la différence. Plus précisément, on observe que ce sont les programmes eux-mêmes – ce qui est enseigné – qui fait la différence.
3) La première conclusion recadrait la place limitée qui doit être accordée aux classements par pays dans les évaluations internationales ; la deuxième indiquait que le facteur essentiel de la bonne qualité d’un système scolaire est la qualité de ses programmes. Il était donc naturel que la troisième conclusion tende à définir ce que sont «des programmes de qualité» : le premier critère mis en avant transparait même dans le titre de l’article – A coherent curriculum – : de bons programmes sont avant tout des programmes cohérents.
À suivre …