« Le constat est largement partagé : aujourd’hui, de nombreux étudiants se montrent incapables d’écrire correctement. Leurs copies, composées de phrases mal orthographiées qui n’ont souvent aucun sens, sont devenues illisibles. Après avoir apposé, des années durant, un tampon encreur « Orthographe inadmissible » sur des milliers de travaux d’élèves, Aude Denizot, professeur au lycée puis à l’université, a décidé d’observer de plus près les causes de ce déclin. » Éditeur : Enrick B. Editions
Le GRIP a rencontré l’auteur :
Madame Denizot, vous venez d’écrire un livre intitulé « Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? Les ravages de la photocopieuse ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce livre vise à dresser une critique sévère de l’usage intensif des photocopies et autres supports pré-remplis à l’école. Je compare la photocopie au fast-food : elle est pratique, elle est rapide et elle plaît aux enfants. Et pourtant elle ne nourrit pas, et elle nourrit mal ! Ces fichiers privent en effet l’élève d’occasions d’écrire des phrases complètes, de poser des opérations entièrement, ou encore de recopier l’énoncé d’un problème ou une leçon de géographie. Les fiches et les fichiers privent aussi l’enfant du bonheur de ressentir une certaine fierté une fois son travail terminé, puisque ses réponses sont éparpillées dans une feuille déjà presque entièrement remplie et parfois déjà décorée par l’éditeur. Plaçant systématiquement l’élève dans une démarche d’adjonction et non de production, la photocopie est donc très pauvre d’un point de vue pédagogique, pour toutes les matières. Ainsi mon livre aurait-il très bien pu s’intituler : pourquoi les étudiants ne savent-ils plus compter ? Mais mon regard d’enseignante en droit m’a menée à explorer davantage les inconvénients de la photocopie sur l’écriture.
Le problème de la photocopie est qu’elle fait illusion, comme en témoigne l’explosion du marché parascolaire, lequel propose de plus en plus des cahiers pré-remplis, comme les cahiers de vacances par exemple. La photocopie donne ainsi une illusion de propreté, car les « pattes de mouche » de l’élève sont moins visibles que dans un cahier entièrement empli de son écriture. Elle donne aussi une illusion de rapidité, car si elle permet à l’élève de rendre rapidement un travail, elle ne lui permet pas de savoir travailler rapidement. Son poignet n’aura pas été exercé à écrire rapidement, et l’élève sera incapable de prendre des notes et de présenter correctement son devoir. En somme, rien ne vaut un cahier Seyès dont la page de garde sera, au primaire, décorée avec un tampon encreur !
En quoi votre constat rejoint-il celui du GRIP sur l’orthographe des élèves et des étudiants ?
Ce mauvais niveau d’écriture trouve notamment sa source dans des programmes mal conçus, des pédagogies absurdes et des manuels inutiles – d’où l’intérêt des travaux du GRIP pour améliorer le niveau des futurs étudiants. L’apprentissage de l’écriture suppose d’avoir le goût de l’effort et de se soumettre à une certaine discipline, volontiers valorisée dans le domaine sportif mais souvent rejetée dans le monde éducatif.
L’apprentissage des règles de grammaire et d’orthographe n’a rien de ludique a priori. Or, l’école d’aujourd’hui rejette tout ce qui demande un effort, le par cœur et les exercices répétitifs. Lorsque ces règles de grammaire sont enseignées, elles sont le plus souvent transmises sur une photocopie et apprises au travers d’exercices à trous qui ne servent à rien. C’est pourquoi certains étudiants sont très surpris de découvrir ces règles (et leur simplicité) lors des cours d’orthographe qui sont dispensés à l’université.
De même, pour rejoindre les positions du GRIP, il me semble que ce faible niveau est en opposition complète avec l’idéal démocratique de notre école. Seuls les enfants pris en charge dans leur famille arrivent à bien écrire. J’interroge régulièrement les étudiants qui obtiennent de très bonnes notes aux dictées organisées à la faculté : tous me répondent que c’est grâce à leurs mamans qu’ils écrivent sans faute.
Quelles solutions proposez-vous pour pallier ces déficiences en orthographe ?
Je propose bien sûr d’éteindre les photocopieurs. Cela ne sera possible qu’avec une refonte des programmes et des manuels. Beaucoup d’enseignants ont recours à la photocopie parce qu’ils manquent de temps pour finir le programme et parce qu’ils estiment que le manuel n’est pas bien fait. Mais, plus ils utilisent les photocopies et les fiches, plus les enfants prendront du retard sur l’acquisition des fondamentaux, et donc plus il sera difficile de terminer le programme !
Il faudrait aussi abandonner les fichiers et autres cahiers pré-remplis (qui ne sont en somme que des photocopies joliment reliées), sauf peut-être pour occuper les enfants qui ont terminé leur travail bien avant les autres.
Enfin, je dénonce dans l’ouvrage l’obsession du numérique : il faut en finir avec les ordinateurs (et les téléphones) à l’école et jusque dans le supérieur. Les Espaces numériques de travail, les « recherches sur internet » et la création de Powerpoint par les élèves n’ont guère d’intérêt pédagogique et participent à leur manière à une dégradation générale du niveau des élèves de même qu’à une dégradation de notre planète. Il n’est pas possible que des enfants africains travaillent dans des décharges numériques en mettant en péril leur santé, pendant que les enfants des pays riches travaillent sur des écrans, sans aucun avantage pédagogique concret !
Ici un article paru dans Le Figaro – Etudiant
Aude DENIZOT est professeur de droit à l’université du Mans. Ancienne élève de l’École normale supérieure de Cachan, agrégée d’économie et gestion et agrégée des facultés de droit, elle a travaillé dans plusieurs lycées et universités. Elle intervient aussi régulièrement en Amérique latine, où elle a développé de nombreux partenariats.